
Chez d’autres confrères, Abdourahmane Sano a déjà prouvé qu’il n’a pas sa langue dans sa poche. Eh bien, le président de la Plateforme des citoyens unis pour le développement (PCUD) le démontre cette fois dans nos colonnes. Recevant notre rédaction ce week-end, il nous a accordé un long entretien dans lequel il est essentiellement question de la gestion, selon lui, chaotique, des ressources du pays. Une gestion dans laquelle où, à en croire Abdourahmane Sano, les acteurs, comme s’ils redoutaient un cataclysme aussi imminent qu’irrévocable, se lancent d’une course effrénée à l’enrichissement illicite et au pillage éhonté des ressources du pays. Une attitude peu responsable qui serait à la base de tous les autres maux dont souffre le pays et en particulier du malsain débat sur les ethnies. Sonnant la mobilisation, le président de la PCUD invite les Guinéens à ne plus cautionner ces pratiques tendant à les maintenir dans le dénuement et la misère déshumanisante.
Lisez plutôt cette première partie de l’entretien qu’il nous a accordé
Nous sortons d’une grève syndicale qui aura pratiquement duré un mois. Dites-nous, en tant que membre de la société civile guinéenne, ce que vous avez pu apporter comme contribution en vue de la sortie de crise ?
Je m’en vais tout d’abord préciser que la crise n’a pas duré qu’un mois. Si l’on met bout à bout les deux tranches de la crise, on réalise qu’elle a globalement fait environ 50 jours. En tant que société civile, nous avons été très près de la crise. Nous sommes intervenus là-dedans, nous battant pour que les enfants puissent très rapidement reprendre les cours. Cela, bien sûr en apportant notre soutien au SLECG et à ses leaders syndicaux, parce que les enseignants étaient dans leur raison. Mais nous avons cependant également agi de manière à ce que l’on préserve l’unité syndicale. Et aujourd’hui, très heureusement, nous avons réussi à dénouer la crise et j’espère que les parties prendront le maximum de soin pour respecter leurs engagements respectifs.
Vous dites que la crise a duré 50 jours. Qu’est-ce qui pourrait expliquer que la crise ait autant perduré ? A-t-elle été mal géré notamment ?
La grève, depuis la première phase en novembre, avait surpris plus d’un. Sa réussite notamment avait particulièrement surpris. Donc, il y a eu une erreur d’appréciation. Tout le monde pratiquement s’est trompé dessus. Tout au moins les principaux acteurs. D’abord, les leaders syndicaux qui n’ont pas su prévoir la tournure que ce genre d’expérience pouvait prendre. Ensuite, les autorités étaient dans une situation un peu difficile. D’un côté, il y avait la peur des leaders syndicaux qui avaient l’habitude de dicter comment gérer les problèmes du syndicat. De l’autre, il y avait le mépris, parce que n’ayant pas réalisé que le mouvement pouvait éventuellement prendre de l’ampleur. Il y a aussi les interférences du chef de l’Etat qui ne voulait pas donner une marge de manœuvre au gouvernement. Enfin, il y a la gouvernance qui est une gouvernance de mépris et qui faite de telle sorte qu’on n’écoute pas les autres, conséquence de l’usure du pouvoir sur les autorités et du fait que ce même pouvoir est coupé des réalités. Donc, c’est un ensemble de problèmes comme ceux-là qui ont fait que les gens n’ont pas eu une lecture saine de la situation. En tant que PCUD, nous nous sommes retrouvés là-dedans parce que notre plateforme est une structure faitière du mouvement syndical. Mais aussi parce que nous avons été constants sur nos convictions. Ensuite, quand on a écouté toutes les parties et que nous avons compris le problème, nous avons pensé qu’il fallait jouer le rôle que nous avons joué, notamment se battre pour que les enfants retournent le plus rapidement possible en classe, sans mettre en danger les revendications des enseignants, qui étaient des revendications légitimes pour tous les travailleurs, mais en œuvrant à ce que l’unité syndicale soit préservée. Ça n’a pas été donné. Mais au moins on a réussi à accompagner le SLECG jusqu’au bout, avec les résultats que tout le monde connait aujourd’hui.
Alors on a obtenu un protocole certes. Mais il se dit qu’en contrepartie des concessions faites par les autorités, c’est le peuple qui devrait payer la facture définitive. Qu’en pensez-vous ?
Nous nous pensons que le gouvernement a encore des efforts à faire pour trouver dans le budget les ressources permettant de couvrir l’incidence financière de cet accord. D’autant que si on voit le budget, on sent qu’entre temps, il est passé de 15.000 milliards GNF à 20.000 milliards GNF-donc au moins 5.000 milliards supplémentaires. Et lorsqu’on rentre dedans, on voit la déclinaison des allocations, on se rend compte qu’il y a encore des efforts à faire par toutes les institutions de la République, pour que ce que les travailleurs ont légitimement demandé puisse être obtenu, sans pour autant mettre en danger l’équilibre budgétaire, sans pour autant mettre en danger la qualité des services publics. En tout état de cause, au niveau de la société civile, notre position est très claire. Nous n’allons pas accepter une augmentation du prix du carburant, comme le ministre du Budget l’a insinué, tout comme nous n’allons pas accepter une dégradation de la qualité de l’offre des services publics, notamment le courant. D’ailleurs, nous allons exiger que les investissements dans le secteur de l’eau soient améliorés pour que l’eau potable puisse désormais trouver les Guinéens dans leurs maisons. Nous allons mobiliser, nous sommes en train de le faire, nous allons prendre toutes les mesures légales pour que ce ne soient pas les populations qui prennent le pot cassé. Mais que ce soient aux autorités en général et à ceux qui trempent dans la corruption, dans le détournement des biens publics, dans le pillage de nos ressources communes qu’on présente la facture.
N’est-ce pas que les solutions que vous envisagez, requièrent la convocation d’une session extraordinaire du parlement ?
Il leur appartient d’examiner. Certes, il y a la loi des finances. Mais il arrive aussi que des réallocations se fassent sans pour autant qu’il y ait besoin de convoquer une session extraordinaire du parlement. En tout état de cause, je pense qu’il est clair aujourd’hui que dans toutes nos institutions, les membres sont davantage préoccupés par leur enrichissement personnel et baignent dans l’affairisme, pour la plupart d’entre eux. Toutes ces indélicatesses, ce sont déjà les populations et les opérateurs économiques qui en paient les frais. Donc, nous disons qu’il faut qu’ils trouvent les solutions qui sied, mais il faut qu’ils soient judicieux, puisque nous ne pouvons plus continuer à les laisser gérer le pays comme ça s’est fait jusqu’à maintenant. On ne peut plus tolérer les pillages. D’ailleurs, nous allons commencer à nous organiser pour renforcer la veille sur les bénéfices qu’ils tirent de ces pillages-là.
Vous parlez de pillage des ressources et de corruption. Mais est-ce que, comme l’a dit le président de la République, vous avez des preuves des accusations que vous faites ?
Il faut bien savoir que le chef de l’Etat est dans une situation très difficile. Il est entouré par des gens qui pillent. Il incarne aujourd’hui un système qui ressemble là un système mafieux. Les institutions officielles n’ont aucune responsabilité et les membres baignent tout simplement dans cette corruption-là. Voyez le budget de l’Assemblée nationale sur les trois dernières années, vous allez comprendre ce qui est en train de se passer. Voyez le budget de la présidence, bref intéressez-vous aux budgets de toutes les institutions. Voyez dans quel ordre ces budgets sont en train d’augmenter. Comparez ces budgets à l’apport de ces institutions en termes d’activités. On ne ressent pas du tout leur existence, mais les budgets ne font qu’augmenter. Qu’est-ce qui est fait de cet argent-là ? On va peut-être vous dire que tout n’est pas exécuté. Moi je veux bien ! Lorsque les études de la Banque mondiale ressortent que 67 % des investissements faits sur financement du budget national, n’auront pas fait l’objet d’une étude préalable, ça veut dire qu’on met de l’argent public dans des investissements incertains. Pourquoi fait-on les choses ainsi ? Ce qui disparaît à travers de telles manœuvres va quelque part. Lorsque les études ont démontré que 87 % des marchés publics se font gré à gré, en violation de la loi. Lorsqu’on vous dit que la présidence de la République a une centrale d’achat pour les véhicules, c’est son rôle ça ? Où voulez-vous qu’on cherche les preuves ? Lorsqu’on donne les infrastructures économiques du pays à des compagnies étrangères. Vous rappelez-vous de l’installation des lampadaires. Rappelez-vous des investissements faits entre 2013 et 2015. Souvenez-vous quand les nouveaux ministres ont été nommés. Pendant qu’on disait aux syndicalistes qu’il n’y a pas d’argent pour faire face à leur demande d’augmentation de salaire et pendant que le gouvernement refusait de baisser le prix du carburant à la pompe, alors que les cours mondiaux étaient systématiquement à la baisse, les gens s’étaient permis d’acheter des véhicules neufs, dont le prix d’un seul peut pratiquement permettre la construction d’une dizaine de salles de classes, de centres de santé là où il n’y en a pas. Où voulez-vous qu’on cherche les preuves ?
Nous nous disons que si ça continue ainsi, nous allons faire en sorte que ce soient plutôt eux qui nous sortent les preuves de leurs malversations. Nous allons nous organiser pour cela.
Est-ce la situation que vous dépeignez ainsi qui justifie la déclaration en vertu de laquelle vous appelez à la nomination d’un nouveau gouvernement ?
Dans ce genre de situation, la première chose pour des gens qui ont le sens de la responsabilité et qui ont conscience des enjeux de la gouvernance publique, surtout celle en rapport avec la nécessaire satisfaction de la demande sociale en termes d’amélioration de la qualité des services publics, c’est de réduire le train de vie de l’Etat. Essayez de vous embarquer dans un avion d’ici à Paris. Vous verrez que s’il y a des fonctionnaires parmi les voyageurs, la majeure partie seront en business class. Ça fait combien de fois le prix d’un billet normal ? Alors qu’on voit dans certains pays comme la Tanzanie, des chefs d’Etat qui se mettent en classe économique, comme n’importe quel citoyen pour voyager. Quand on a du respect pour les biens publics, c’est comme ça qu’on doit se comporter. La pédagogie par l’exemple, à cet égard, nous semble la meilleure. Il y a des ministres ici dont on entend qu’ils ont des comptes en millions de dollars à l’étranger. Nous savons comment des entreprises publiques sont en train d’être gérées, avec tous les pillages qui sont organisés. On entend en longueur de journée, à travers les médias, ce qui est en train de se passer. Mais tout cela est entretenu par l’impunité sur laquelle tout le monde est d’accord dans la gouvernance de notre pays.
Voulez-vous dire que s’il y a tout de suite une mobilisation citoyenne autour de ces enjeux de gouvernance, tous les débats à relents ethnicistes et communautaristes qu’on entend çà et là, vont cesser ?
Il n’y a pas à dire s’il y a mobilisation. Parce que nous sommes en train de construire la mobilisation des citoyens. On est déjà actif là-dedans. Il n’y a plus si, parce que c’est maintenant que ça commence à être opérationnel. On nous distrait par le fait ethnique. On nous distrait par la banalisation de l’enrichissement illicite. Celui qui vole, on le considère comme béni et celui qui veut vivre dignement, on le considère comme celui qui est maudit. Parce qu’il a une vie modeste. Il faut inverser cette tendance. Ce qui ne peut s’obtenir que par le combat des citoyens. Et nous sommes engagés dans cela. Je répète, on nous distrait par le fait ethnique. Mais on s’en fout. Parce que quand il y a la souffrance telle qu’elle existe aujourd’hui dans notre pays, elle ne choisit pas d’ethnie. Nous sommes tout simplement dans un contexte où la classe politique, bloquée, se retrouve dans un piège où on a cultivé la notion de confrontation sur une base d’instrumentalisation ethnique. Alors que c’est faux. Ils sont à l’Assemblée ensemble. Quand il s’agit d’avantages, on ne les entend pas se chamailler. Dans toutes les institutions où ils sont ensemble, il en est de même. A la CENI où ils sont ensemble, il y certes des avis contradictoires notamment autour des élections, par contre, on n’entend rarement des cris par rapport aux avantages qu’ils tirent de cette institution. Et c’est la même chose partout. Ceux qui, du côté du gouvernement, sont en train de piller et qui parlent d’ethnie, pensez-vous que les conséquences de leurs actes épargnent-elles un citoyen dans ce pays-là ? Regardez aujourd’hui les opérateurs économiques à Madina et ailleurs ou encore nos industries locales, pour ceux qui ont eu le courage de s’investir dans ce domaine. Ils sont aujourd’hui dans une situation invivable. Tout le monde dit que ça ne va pas. Pendant ce temps, les étrangers bénéficient de marché gré à gré et reçoivent les financements sur des comptes à l’extérieur. C’est notre argent qui est ainsi pillé ! A Boké, dans les cinq à dix prochaines années, les habitants de cette région vont commencer à développer des maladies respiratoires, alors que les richesses partent de là. On parle de croissance, mais il s’agit en réalité d’une croissance exportée. Parce que tous les produits qui y sont, on les envoie ailleurs pour les transformer. Ça crée de la richesse ailleurs, ça ne crée pas de la richesse chez nous. Quand les investisseurs étrangers arrivent aujourd’hui en Guinée, ils commencent par la présidence de la République. Ça fait de l’intimidation pour les ministres. Et les gens, ils font ce qu’ils veulent ici.
En la matière, quelle est la procédure normale ?
Mais il y a l’APIP ! Nous avons des institutions qui doivent normalement travailler. La présidence de la République n’a rien à voir avec ces gens-là. Mais ils prennent une ascendance sur les autorités compétences et sur les services techniques, et on ne peut plus rien. Ils disposent ainsi de notre économie, comme ils veulent. Nous devons arrêter tout cela, parce que ça devient trop.
Mais le président de la République, pour sa défense, a déjà indiqué que s’il rencontre les investisseurs, c’est pour éviter que ces derniers se fassent rançonner par les cadres au niveau des ministères et des services techniques… ?
Je réponds : « où est la justice » ? Qu’est-ce qu’on fait pour lutter contre cette impunité ? Nous avons des services de l’Etat, pourquoi ne pas les faire fonctionner normalement ? Pourquoi ne pas créer une Brigade de répression de la corruption ? Brigade auprès de laquelle les gens pourraient venir dire ce qui va et ce qui ne va pas. Pourquoi ne pas mettre des institutions qui fonctionnent ? Le président est un individu, un être humain. Seul et à partir de son bureau, il ne peut pas contrôler la Guinée dans le détail. Ce n’est pas possible. Les institutions existent justement pour ça. L’Etat existe depuis l’aube du temps. Et si on fait en sorte que les gens paient l’impôt, c’est pour que ces institutions qui en découlent puissent fonctionner normalement, à l’effet d’apporter aux citoyens tous les services dont ils ont besoin, à savoir l’éducation, la sécurité, la santé, l’assainissement (hygiène), le développement des infrastructures, etc. Mais pour cela, les services compétents existent par profil, par secteur, avec pour finalité de satisfaire aux demandes sociales. Ce n’est pas au chef qui est placé au sommet de la pyramide de gérer les détails. Ce n’est pas possible.
Propos recueillis par Boubacar Sanso Barry/ledjely.com